« J’aurais juste aimé être informée de tout ce qui allait m’arriver, parce que j’apprécie que l’on me considère comme une adulte dotée d’une intelligence et d’esprit critique, et qu’il me semble que chacun et chacune méritent ce traitement humain, notamment de la part du corps médical; en outre, ce moment clé de la grossesse, qui précède le passage à la parentalité, devrait être celui d’une appropriation pleine de son corps et de sa psyché. Or force est de constater qu’aujourd’hui encore, ce premier trimestre est celui d’une dépossession du corps, de la parole, de la grossesse elle-même -puisqu’il s’agit de la taire-, du libre-arbitre derrière les injections de toutes sortes et l’absence d’information. »

Ces mots piochés dans l’ouvrage « Trois mois sous silence. Le tabou de la condition des femmes en début de grossesse » et rédigés par Judith Aquien n’en finissent pas de faire écho aux impensés qui cadenassent la condition féminine. Aujourd’hui encore, l’appropriation corporelle ou psychique des femmes demeure complexe sous la pression d’une société patriarcale où rien – ou presque – n’est pensé pour leurs besoins spécifiques. Est-il possible d’être soi, de développer son potentiel, d’aligner les sphères personnelles, professionnelles, familiales et sociales lorsque la charge mentale écrase l’individu et que l’articulation entre travail et famille s’avère être un véritable jeu d’équilibriste ?
Le traitement réservé au premier tiers de grossesse n’est qu’un des nombreux symptômes du déni de considération des nécessités propres au féminin. Fonder une littérature sur ces questions permet de déchirer petit à petit la nappe épaisse et brumeuse derrière laquelle se dissimule pêle-mèle : l’invisibilisation du début de l’état de gestation, ses symptômes, ses risques, sa prise en charge et sa non-reconnaissance administrative.
Non-reconnaissance administrative ? N’est-ce pas une hérésie que d’employer cette expression, à l’heure où des batteries d’examens sont chaque jour prescrits aux femmes enceintes ?
Pour apposer une réponse à cette interrogation, emboîtons le pas à la directrice éditoriale qu’est Judith Aquien sur la voie déjà largement foulée par la femme sur quatre qui, chaque année fait face à la meurtrissure de la fausse couche. Vingt mille femmes parmi lesquelles certaines déjà mères, et d’autres en devenir.
Bienséance officiant, nos échanges au ton badin se trouvent alimentées non par le nombre de grossesses vécues, mais plutôt par celui des enfants composant une éventuelle fratrie. Si la question semble déplacée – et il n’est pas difficile de l’admettre lorsque l’on comprend que par sa formulation les résurgences d’une situation douloureuse peuvent se faire jour – elle n’en demeure pas moins fondamentale dans le processus de mise à mort de l’invisibilisation de la fausse couche. Toutefois, Judith Aquien ne s’arrête pas là. Elle affirme que la dépossession est ici pleinement liée au genre et illustrée par la non-prise en compte des bouleversements corporels et psychiques qui ponctuent le cheminement des femmes jusqu’à l’accomplissement total de la tâche qui leur est socialement assignée: l’enfantement.
Silence et aveuglement ouvrent donc ici la porte à une tripotée d’injonctions comme celle de ne pas investir la grossesse durant ses trois premiers mois. Mise en demeure préventive souvent formulée – selon les dires de la directrice éditoriale – par la communauté médicale au travers d’un lapidaire: « 1er trimestre marqué par le risque. » Un tiers hasardeux dans les faits, mais qui paradoxalement – et comme le note l’auteure – ne s’oppose en rien à une maltraitance institutionnelle et systématique par la non-prise en compte des états physique et psychique des patientes enceintes.
En effet, quid des symptômes, parfois extrêmement violents, communément désignés sous le délicieux sobriquet de « petits maux de grossesse » dont sont affectées 85% des futures mères ?
Nausées, vomissements ou dans leur forme la plus sévère hyperémèse gravidique touchent 2 à 5% des femmes (dont Kate Middelton). Ce sont également, 75% d’entre elles qui témoignent de troubles du sommeil, voire d’hypersomnie (30 à 35%) ou d’épuisement à caractère narcoleptique. Un pourcentage en augmentation constante, jusqu’à atteindre 93,3% au 3 ème trimestre. Faut-il voir dans le non-traitement de ces affections, les réminiscence d’une époque où elles donnaient lieu à un diagnostic de maladie mentale chez des « femmes dérangées » qui n’auraient en réalité aucun désir de maternité? Certes, l’habillage diffère – passant de la folie au stress – mais la stigmatisation s’attarde.
En se refusant à reconnaître l’état de grossesse dès son commencement – la déclaration administrative n’intervenant qu’au bout de trois mois- les institutions privent donc sciemment les femmes d’un cadre professionnel sécurisant et adapté, de soutien, mais aussi d’améliorations significatives de leur prise en charge grâce à la recherche. Autant d’éléments qui tendent à asseoir le sentiment d’isolement voire de honte, parmi celles qui ont été, sont et seront confrontées à la fausse couche.
Ce ne serait donc, qu’au travers du prisme étroit de l’obligation d’une fertilité efficiente que la femme pourrait être entendue, soignée, reconnue. Un assujettissement dénoncé avec virulence par notre auteure qui va jusqu’à déclarer que la future mère est autorisée à investir sa grossesse seulement lorsque les deux risques majeurs encourus lors des douze premières semaines – trisomie 21 (T21) (ou de toutes autres formes de malformation) du foetus et interruption spontanée de grossesse – ont été écarté par le corps médical.
L’écrit de Judith Aquien est une invitation à penser, bousculer, le rapport établi entre « normalité » et reconnaissance lorsqu’il s’agit de grossesse, afin de permettre aux couples et femmes seules de l’habiter avec plénitude dès son commencement.
Pour aller plus loin, n’hésitez pas à plonger dans cet ouvrage.
Et si vous souhaitez vous informer autour de la fausse couche, nous vous proposons le roman graphique : « Neuf mois et toi » de Lucy Knisley


Mathilde.